La vieille n'avait pas de nom, pour tous c'était une ombre.
Depuis une éternité on la voyait passer au coin de la rue, ou plutôt on ne la voyait plus. Avec son dos cassé, sa face blanche, ses doigts comme des crabes elle faisait partie du cadre. La vieillarde se confondait avec les lézardes des murs qu'elle rasait.
Pour tous, elle avait toujours été âgée. Approchant les cent ans, elle avait vu patauger dans leurs couches la moitié des gens qui l'entouraient.
Il est vrai que quand un septuagénaire nous voit naître et qu'il devient centenaire, nous grandissons avec un arbre qui semble avoir toujours été ridé... Du berceau à la force de l'âge, nous ne voyons chez lui que des cheveux gris.
Enfin, ce spectre familier ne semblait pas avoir vraiment eu d'histoire. De plus en plus pâle, constamment courbé, jamais gai, qui aurait pris la peine de l'écouter ? On l'appelait "la vieille" et on lui prêtait une existence de fantôme. Et pourtant... Cette chose affreuse avait aimé, autrefois. De son vrai nom Bertrande, "la vieille" avait traversé le siècle presque à l'insu de ses contemporains, repliée sur son chagrin.
Son secret, son grand, terrible secret d'amour se résumait à une humble et bien banale tragédie : elle avait perdu son fiancé dans les tranchées de la "14".
Il s'appelait Lucien mais peu importe. Mort depuis 80 ans. Devenu stèle lointaine, statue radieuse et diamant noir tout à la fois dans l'âme trop pure de l'éplorée... Une vraie lumière dans son coeur. Enfouie sous le silence, les pleurs et les rides.
Le souvenir de Lucien l'avait tenue en vie depuis tout ce temps. Ou peut-être plus morte que vive.
C'était ça son jardin secret à la "vieille". C'était Lucien.
Lucien l'anonyme. Son amour, son joyau, ses larmes, son trésor, son drame de "vieille" qui passait silencieuse au coin de la rue.
Depuis une éternité on la voyait passer au coin de la rue, ou plutôt on ne la voyait plus. Avec son dos cassé, sa face blanche, ses doigts comme des crabes elle faisait partie du cadre. La vieillarde se confondait avec les lézardes des murs qu'elle rasait.
Pour tous, elle avait toujours été âgée. Approchant les cent ans, elle avait vu patauger dans leurs couches la moitié des gens qui l'entouraient.
Il est vrai que quand un septuagénaire nous voit naître et qu'il devient centenaire, nous grandissons avec un arbre qui semble avoir toujours été ridé... Du berceau à la force de l'âge, nous ne voyons chez lui que des cheveux gris.
Enfin, ce spectre familier ne semblait pas avoir vraiment eu d'histoire. De plus en plus pâle, constamment courbé, jamais gai, qui aurait pris la peine de l'écouter ? On l'appelait "la vieille" et on lui prêtait une existence de fantôme. Et pourtant... Cette chose affreuse avait aimé, autrefois. De son vrai nom Bertrande, "la vieille" avait traversé le siècle presque à l'insu de ses contemporains, repliée sur son chagrin.
Son secret, son grand, terrible secret d'amour se résumait à une humble et bien banale tragédie : elle avait perdu son fiancé dans les tranchées de la "14".
Il s'appelait Lucien mais peu importe. Mort depuis 80 ans. Devenu stèle lointaine, statue radieuse et diamant noir tout à la fois dans l'âme trop pure de l'éplorée... Une vraie lumière dans son coeur. Enfouie sous le silence, les pleurs et les rides.
Le souvenir de Lucien l'avait tenue en vie depuis tout ce temps. Ou peut-être plus morte que vive.
C'était ça son jardin secret à la "vieille". C'était Lucien.
Lucien l'anonyme. Son amour, son joyau, ses larmes, son trésor, son drame de "vieille" qui passait silencieuse au coin de la rue.